WONG WA:
L'ODYSSEE AU PAYS DES SCEAUX

par CHRISTOPHE COMENTALE

Depuis plusieurs milliers d'années, les dragons ont livré le mystère du tracé de leurs griffes imprimées dans le sol
L'homme s'en est emparé. Seul, le hurlement de cet animal s'entend parfois dans la nuit : il se terre et vit dans la terreur d'être, à nouveau spolié,.

Cette légende ancienne revient aussitôt en mémoire, car, à travers ses œuvres, Wong Wa semble procéder de cette même veine que ses ancêtres lui ont transmise dans la confidentialité la plus grande.
Le signe est, bien sûr, le centre de chaque paysage graphique. cette dernière notion, permet de (se) rappeler que, s'il est vrai que la peinture est prisée en Chine, là, le signe calligraphique conserve encore et toujours sa suprématie, la profondeur qui donne vie à tout tracé.
Chaque paysage idéogrammique - fruit d'un parcours intérieur - constitue un microcosme en soi : le tracé au pinceau en des tons délavés fait naître des zones d'ombres, pleines et denses. Elles font alors apparaître en contrepoint des vides béants. Ces deux entités s'opposent, se heurtent tout autant qu'elles se complètent nécessairement pour donner à chaque œuvre tout son achèvement et son équilibre le plus touchant.
Touchant, mais surtout plein de force, car, de ce tracé, de ces jeux calligraphiques, émane et transparaît la vigueur de l'artiste, sa conception de l'art et aussi de l'univers

Si en France et même dans tout le monde occidental, on peint un tableau, on peut, en Extrême-Orient, également le peindre, certes, mais tout autant l'écrire. Cette terminologie illustre la nature toute, différente des liens qui guident. le signe à l'image ,le texte à sa signification.

Telle. œuvre récente en format vertical de 40 sur 70 centimètres représente apparemment - et réellement - un poisson. Le support est la toile sur laquelle cette composition originellement pariétale a été réalisée. 'Daji' (Augures favorables), tel est son titre, rappelle,' s'il en était besoin, combien fort est l'impact de ce qui est extérieur sur l'invisible. Les valeurs sombres qui entourent délimitent, protègent le sujet, mettent ce dernier davantage encore en relief. Il s'avère une réminiscence des représentations propitiatoires gravées il y a quelque trois mille ans, tant sur les. omoplates de bovidés ou d'ovins que sur les plastrons de tortues.

"Joie", relief à l'huile sur toile de 90 sur 123 centimètres nous fait parcourir le monde de la dynastie des souverains Han (3e siècle av.-3e siècle ap. J. C.) : un char conduit par de nobles personnages se déplace nuitamment. Cette commémoration montre l'amour d'une civilisation disparue, et le plaisir de son évocation. Les briques estampées Han ont elles aussi illustré des événements jugés importants, et elles devaient en garder la mémoire.

Un "polyptyque" - suite de quatre panneaux juxtaposés - abrite tout autant la création de Wong Wa: cette composition de 200 sur 123 centimètres frappe par les alternances du noir et du blanc qui donnent vie au caractère. Seules quelques "taches" de rouge tranchant. En fait, des caractères donnent une polychromie, ou une impression qui passera pour telle aux yeux du spectateur occidental.

En réalité,, le sceau apposé en rouge cinabre marque l'achèvement de l'œuvre. Le sceau évoque tout autant un titre qu'un nom, un pseudonyme. Il est laissé par l'esthète ou le collectionneur admiratifs, qui, après avoir contemplé une œuvre laissaient ainsi leur empreinte à côté de quelques caractères laudatifs.

Wong Wa évolue dans cet univers de signe tracé, gravé,, en relief ou en aplat avec une facilité, un naturel qui disent le contentement, la protection qu'ils exercent sur lui, et aussi la fascination qu'ils lui imposent tout au long de ces recherches souterraines et isolées - elles sous-tendent la création des œuvres.
Cet art est-il 'chinois', est-il 'occidental', 'moderne' ou 'classique' ?

Wong Wa a réalisé une synthèse personnelle en conservant au signe toute sa vigueur. Il n'a pas hésité à lui confier le support de la toile, l'épaisseur du relief, même si ces supports sont réalisés dans un contexte Occidental.


Plusieurs décennies se sont écoulées, qui avaient permis à certains critiques d'art de voir dans les œuvres d'artistes modernes des réalisations calligraphiques. Les noms de Pollock, Soulages, Hartung aussi, revenaient incessamment sous leur plume. S'il est vrai que ces créateurs avaient compris le mouvement, l'ampleur que le créateur occidental ou oriental peut insuffler au signe, ils avaient oublié que le tracé, calligraphique procède d'une discipline personnelle, et que le trait apparemment jeté au hasard suppose la maîtrise la plus complète du pinceau qui permet d'en structurer les différentes et successives séquences.

La monochromie apparente des œuvres a cependant joué du chromatisme lorsque cela a semblé nécessaire à Wong Wa : tel 'Triptyque', paysage de 50 sur 1OO centimètres, rappelle, l'ombre d'un instant, les compositions 'abstraites' de Klee, parcimonieusement rehaussées de légères touches de couleurs en lavis : celles-ci sont ici des estompes des sceaux que le passé, a déjà quelque peu altérées. Quelques sentences sur des bandes d'un jaune dont les tons modulent de l'intensité du safran à celle du genêt à peine éclos sont autant de réflexions ouvertes sur la religion et la vie, le monde.

Le court voyage effectué au centre des images qui peuplent l'imaginaire de ce créateur a permis de voir combien ces parcours au sein de visions diverses ont cependant une constante : elles conservent et traduisent le souffle qu'un esthète gardait en son cœur. Du cœur à la main, de la main sur le support, les formes sont devenues réalité. Qu'elles expriment un hommage au passé, qu'elles évoquent la fusion de plusieurs arts tels que la gravure, la peinture, l'écriture, elles ont toutes une constante, celle d'avoir convaincu le spectateur de leur puissance et de leur perfection. L'artiste est encore le poète qui donne vie aux apparences.

Où alors sont les frontières entre ce qui est plein ou vide, réel ou imaginaire ?

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